Bonjour
Pour partage et relais
Bien à vous
Gilbert Mounier
Ne pas rater le retour d’expérience
23/04/2020
Patrick LAGADEC [1]
<http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_edn1> et Matthieu
LANGLOIS[2]
<http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_edn2>
https://www.linkedin.com/pulse/ne-pas-rater-le-retour-dexp%C3%A9rience-p...
Cet article sera publié sera publié dans un livre sous la direction
d'Emmanuel HIRSCH , Professeur des universités, Président du conseil pour
l’éthique de la recherche et de l’intégrité scientifique de l’université
Paris Saclay - Directeur de l’Espace éthique de la région Ile de France,
Directeur de l'Espace national de réflexion éthique MND
« Combien de fois n’avons-nous pas regretté de ne pas avoir les journaux de
Narborough et de Beauchesne, tels qu’ils sont sortis de leurs mains, et
d’être obligés de n’en rien consulter que des extraits défigurés [dont] les
auteurs [se sont évertués] à retrancher tout ce qui peut n’être utile qu’à
la navigation, [et] qu’ils remplacent par des absurdités. Tout […] leur
travail aboutit à composer un livre ennuyeux à tout le monde, et qui n’est
utile à personne".
Louis Antoine de Bougainville [3]
<http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_edn3>
La démarche de retour d’expérience (RETEX) répond à une nécessité, surtout
dans un monde désormais exposé à des risques existentiels et des crises
hors cadres qui appellent des préparations et des pilotages qui, à cette
heure, font souvent défaut. Il va falloir apprendre, beaucoup, en
profondeur, et avec honnêteté. Et, à cette heure, à partir de l’épreuve de
la pandémie du Codiv-19.
Davantage encore : dans un monde en mutation accélérée, il ne suffit plus
de s’améliorer pour « les fois suivantes », mais pour les vagues à attendre
immédiatement. Il faut se souvenir des travaux du stratège militaire
William Boyd pendant la guerre de Corée. Il avait remarqué, que les
Américains, qui disposaient pourtant d’avions bien supérieurs à ceux des
Chinois, perdaient leurs engagements. Il comprit la raison de ces échecs :
les Chinois étaient bien plus rapides dans leurs retours d’expérience.
Désormais, dans la confrontation à l’inédit foisonnant, cette question du
rythme d’apprentissage devient essentielle.[4]
<http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_edn4>
Le principe du RETEX s’énonce aisément : rechercher les facteurs qui ont
construit une situation difficile, non pour porter des accusations, mais
pour disséquer : pratiques immédiates et interactions, bifurcations et
enchaînements, courants de fond et cultures, qui ont produit la dynamique,
de l’anticipation à la “sortie” de crise.
La tâche est imposante. L’auscultation doit en effet porter sur de très
nombreux processus, sous le triple aspect des outils, des procédures et,
plus profondément, des cultures des entités concernées. Notamment :
- préparations et défaillances antérieures ;
- grandes logiques et univers mentaux de référence ;
- perceptions des signaux faibles, et plus encore des signaux
aberrants ;
- réflexes initiaux, processus d’alerte et de mobilisation ;
- informations opérationnelles transmises et reçues ;
- communications établies en interne ;
- communications développées avec les autres entités responsables ;
- communications avec les médias et autres acteurs extérieurs ;
- préparation des experts à opérer en univers inconnu ;
- préparation des dirigeants à traiter avec les mondes de
l’expertise ;
- questionnements mis en œuvre ;
- positionnements arrêtés par les états-majors ;
- leaderships exercés, partagés et conjugués ;
- nécessaires corrections des trajectoires, des anticipations, des
initiatives ;
- surprises majeures, et vulnérabilités systémiques soudainement
exacerbées, etc.
Des guides ont été publiés pour conduire les retours d’expérience adaptés
aux situations d’urgence sanitaire [5]
<http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_edn5>, aux
accidents médicaux[6]
<http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_edn6>, ou aux
accidents industriels.[7]
<http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_edn7>
La difficulté, aujourd’hui, est de prendre en compte le changement
d’échelle et la nature de l’objet à examiner : une pandémie de haute
intensité, qui projette tous les acteurs hors du cadre convenu de
l’accidentel particulier – le “domaine de vol” de nos boîtes à outils,
organisations et doctrines de référence. C’est un très large spectre qu’il
va falloir considérer – de l’opérationnel immédiat aux dynamiques profondes
de nos organismes et institutions. L’exercice se déroulant, en outre, dans
un environnement marqué par de la souffrance, des tensions, des
ébranlements majeurs et non stabilisés.
Des pièges exacerbés vont immédiatement guetter les meilleures volontés.
Aider à les déjouer, en apportant des repères, est l’unique ambition de
cette contribution.
EXIGENCES
À l’instant même où les portes du confinement s’entrouvriront, les vannes
ont toute chance de céder brutalement, déversant des tombereaux de
récriminations, à la mesure de l’épreuve subie, et des pertes massives en
vies humaines et en coût pour la société.
Avec au centre du drame cette question des masques qui auront tant manqués
– notamment aux soignants comme aux policiers, et bien d’autres encore en
première ligne, laissés largement démunis. Fidèles à Hippocrate, les
soignants sont allés au lit des malades, et en ont payé un lourd tribut. Un
dénuement qui entre en écho – puisque l’on a parlé de « guerre » avec les
mots d’un officier le 21 mai 1940 : « Je me tue, Monsieur le Président,
parce que mes hommes étaient des braves, mais qu’on n’envoie pas des gens
avec des fusils contre des chars d’assaut ». [8]
<http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_edn8>
Il faut s’attendre à voir se déclencher des dynamiques ultra-rapides et de
hautes intensités. Des initiatives pour investiguer véritablement les
causes et les effets, mais si dépourvues de méthodes et de moyens
qu’elles se perdront vite dans l’impuissance ; des manœuvres, si
fréquentes, pour se protéger de toute mise en cause ; des fabrications
hâtives de “récits” dont la première force sera le simplisme permettant de
séduire médias et spectateurs – les pièges sont innombrables… Et les cas
sont légions où ces abîmes post-crises n’ont nourri que confusion et
manipulation, impuissance et désespérance.
Les enseignements et les progrès sont pourtant d’une impérieuse nécessité.
Une nouvelle mission aussi complexe qu’à haut risque nous attend. Il nous
revient d’être à la hauteur de cette responsabilité. Ce qui appelle une
maîtrise des grammaires requises. Même s’il faudra beaucoup inventer – et
avec cette humilité dont nous avons beaucoup manqué pendant la crise
– l’expérience recèle fort heureusement des enseignements précieux.
Cette courte contribution a précisément pour objet de fixer un certain
nombre de recommandations pour baliser les initiatives qui seront lancées,
à tous les niveaux, dans tous les secteurs, par nombre d’acteurs.
Mais à la base de tout, il y a quelques repères fondamentaux. Pour être
porteur de véritables enseignements constructifs :
· Le retour d’expérience doit être vrai, c’est-à-dire ne pas tricher
avec la réalité.
· Le retour d’expérience doit être constructif, c’est-à-dire apporter
des critiques utiles.
· Le retour d’expérience doit être à large spectre, c’est-à-dire viser
l’amélioration non seulement technique mais aussi humaine et
organisationnelle.
· Le retour d’expérience exclut les petits ou gros bénéfices
accessoires, en termes d’image, de budget, de politique, et jusqu’à la
recherche frénétique de décorations.
· Le retour d’expérience exige une démarche pensée et organisée : il
faut accepter que cela prenne du temps, suive des étapes, intègre des
investigations diversifiées au long des étapes nécessaires. Tout en
n’oubliant pas l’exigence du rythme soutenu comme indiqué précédemment.
· Le retour d’expérience, surtout s’il est de grande envergure et
d’ambition, suppose une solide équipe d’investigation, déjà formée aux
difficultés de tâche, dotée de moyens pour le pilotage et la conduite du
RETEX.
Déroger à ces règles ne peut que conduire à des embardées rapidement
disqualifiantes. Et les petites ou grandes manœuvres de captation, que l’on
voit fleurir sur nombre de situations d’après-crise, ne peuvent conduire à
rien de bon, sinon au maintien des béances et défaillances, au gonflement
des ambitions, et à la perte encore plus marquée de la robustesse de
l’ensemble.
DÉMARCHES
Un immense territoire est à couvrir si l’on veut tirer des enseignements
réellement utiles. Deux approches méritent d’être considérées avec soin :
le débriefing pointu, pour les examens spécifiques à telle ou telle
organisation ; la vaste enquête pour les examens d’ensemble, visant la
réaction de vastes systèmes. Dans chacun des compartiments – tous
indispensables –, des exigences, des repères, des pratiques d’excellence
– qui pointent, en creux, les pratiques à proscrire.
Le débriefing interne, pour les unités spécifiques
Les pratiques de débriefing d’une unité comme le RAID sont riches de
repères fort utiles – avec notamment une disposition [voir l’illustration
ci-dessous] efficace en matière de retour sur l’expérience : les acteurs de
terrain ; la hiérarchie ; un maitre de cérémonie ; un « sage » ; des
observateurs. Ainsi, l’examen des faits peut être conduit de façon
ordonnée, approfondie, sans effets dominants de brouillage. Certes, les
personnels d’une telle unité ont la particularité d’être confrontés à
l’obligation de progrès permanent pour la raison ultime que la vie de
chacun est en jeu. Mais l’exemple des réanimations COVID montrent
finalement un risque comparable. Et d’autres cercles, moins exposés
directement, sont comptables de la vie et des épreuves de millions de
personnes – ce qui devrait appeler, pour eux aussi, la recherche acharnée
d’excellence, par ces retours d’expérience exigeants.
Matthieu Langlois[9]
<http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_edn9> : « Nous
n’avons jamais attendu les critiques ni les flatteries pour développer
notre analyse, ou plutôt notre autocritique. Il arrive que le ton monte
lors des débriefings, mais l’essentiel reste de s’en tenir aux faits, rien
qu’au faits ». (p.140)
« Il ne faut pas attendre trop longtemps avant de se livrer à cette épreuve
du « débrief », sinon la mémoire se brouille. […] Le débriefing est une
nécessité […]. Des critiques sont formulées, certaines les uns envers les
autres, d’autres au sujet des autres intervenants, mais toujours dans
l’unique but de tirer des enseignements. […] La critique, ce soir, est
constructive. Nous devrons la partager avec nos partenaires. […] Quels sont
les points faibles ? […] Et les points forts ? […] Il nous arrive de ne pas
tomber d’accord, mais les discussions restent ouvertes et sereines.
L’important, c’est de se parler. (p. 172-174)
SCHÉMA DE RÉFÉRENCE POUR LA DISPOSITION SPATIALE RETENUE POUR LE RETEX
– NON PRIS EN COMPTE PAR LINKEDIN (Voir l'article sur mon site
www.patricklagadec.net, onglet Articles)
L’auscultation transverse, pour l’inter-organisationnel
Le piège est de n’aboutir qu’à des juxtapositions de plaidoyers, à ce point
peu crédibles qu’ils ne sont d’ailleurs jamais mis en dialogue. Chacun
défend ses murailles et son drapeau. D’où le principe d’un retour
d’expérience confié à une instance neutre, sans conflits d’intérêts.
Matthieu Langlois[10]
<http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_edn10> : « Pour
échapper [au] débat stérile, nous devrions peut-être nous inspirer de ce
que font les Américains en pareil cas. Après une crise majeure, […] ils
confient l’analyse des faits à un universitaire indépendant qui n’est pas
un acteur de terrain, et qui se moque des conclusions qui en sont tirées.
Il n’est pas là pour défendre son institution, augmenter son budget,
préférer les camions rouges aux blancs, mais pour développer une approche
pragmatique et désintéressée. Il n’accuse pas moins sa boutique que celle
du voisin, mais il tire tout le monde vers le haut en ciblant les possibles
améliorations. Ce genre de mise à plat manque cruellement dans notre
pays. » (p. 176)
L’enquête de grande envergure, pour le sociétal
De grands travaux de retour d’expérience sont à étudiés de près. Ainsi,
pour n’en citer que quelques-uns, ceux des commissions d’enquête sur
l’accident de Three Mile Island[11]
<http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_edn11>, sur les
pluies verglaçantes qui ont paralysé le Québec en janvier 1998 [12]
<http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_edn12>, sur le
11-Septembre[13]
<http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_edn13>. Ou sur
les grandes tempêtes qui ont balayé la France fin décembre 1999 [14]
<http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_edn14>.
Pour cultiver la prise de distance, on peut aussi examiner un certain
nombre de travaux d’analyse de ces rapports. [15]
<http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_edn15> Et
prendre le temps de s’imprégner d’autres démarches de réflexion, notamment
sur l’expérience de la grippe H1N1. [16]
<http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_edn16>
MÉTHODES
L’enquête sur la crise de la vache folle en Grande-Bretagne[17]
<http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_edn17> est
assurément un cas d’école en matière de retour d’expérience. Elle a en
effet énormément travaillé les questions de méthodes, qui peuvent nous
inspirer, ou tout au moins stimuler notre réflexion. Car le retour
d’expérience sur un cas aussi complexe et brûlant que celui de la pandémie
va exiger un très fort investissement sur le « comment faire », quand
beaucoup de tensions se feront jour pour parvenir rapidement à des
conclusions… éventuellement expéditives, avec le souci dominant de ne
fragiliser personne (et par là de se protéger soi-même), ou seulement ceux
qui auraient tendance à poser trop de questions.
Reprenons ici un certain nombre des lignes suivies par cette Commission
d’enquête, en s’en tenant aux seules questions de méthode, rapidement
synthétisées :
· Formation initiale : les membres de la commission, choisis parce
qu’ils sont tout à la fois expérimentés et neutres, sont formés sur les
divers aspects du problème.
· Insistance première. L’accent est mis, d’emblée, sur les procédures
encadrant l’investigation, non sur le contenu événementiel du dossier.
· Rigueur :
o Clarification des démarches (y compris en cas d’évolution).
o Respect de procédures contradictoires.
o Recherche constante de vérification des faits, de croisement des
affirmations, de validation des analyses.
o Publicité en continu de tous les documents, de toutes les avancées
réalisées.
o Refus des condamnations hâtives des acteurs, règles clairement établies
quant aux jugements négatifs qui seraient portés, énoncé précis de ce qui
peut être reproché à tel ou tel.
o Énoncé clair et publication des conclusions.
· Publication des procédures :
o Publication initiale des procédures envisagées, et réception des
commentaires ;
o Puis publication d’une déclaration précisant les procédures qui seront
effectivement suivies. Les ajustements de procédures ne sont pas exclus.
· Documentation :
o Recueil initial d’information avec l’appui de cellules (“Unités de
Liaison”) mises en place dans les différents ministères concernés. Cette
documentation est publiée sous l’appellation Documents de référence initiaux.
Une seconde sera consacrée aux clarifications nécessaires.
o Large appel initial : il est demandé aux personnes pouvant avoir des
informations à fournir à l’enquête de prendre contact avec le Secrétariat
de la commission. D’emblée, un processus ouvert est donc engagé, qui ne se
limite pas à l’écoute des cercles de direction.
· L’identification de deux catégories d’acteurs :
o Ceux qui ont simplement eu un rôle périphérique, et à qui il est demandé
d’apporter leurs connaissances ;
o Ceux qui ont eu un rôle direct et plus central, et qui seront appelés
comme témoins ; dans l’intervalle, il est demandé à ces derniers de faire
parvenir à la commission une déclaration situant leur action au cours de la
crise. Les critiques émises sur les déclarations préalables des témoins, de
même que tout élément venant contredire ces critiques, sont portés à leur
connaissance.
· Information publique :
o Il est posé que la confidentialité ne saurait être la logique du
travail.
o Auditions de témoins ouvertes au public. *Les déclarations des témoins
sont diffusées avant l’audition et font l’objet d’un examen critique de la
part de personnes choisies par la commission*. L’ensemble est ensuite
débattu en séance.
o Diffusion, tout au long du processus, des documents et témoignages
recueillis.
o Diffusion, au fur et à mesure, de projets de documents intermédiaires
intitulés “Repérages factuels provisoires” ; après réception de
commentaires, diffusion de ces “Repérages provisoires” sous une forme
révisée, la seconde mouture étant qualifiée de “Compte-rendu révisé des
faits” – pouvant encore faire l’objet de révisions.
· Questionnement et exigence
o Le rapport est une invitation constante au questionnement : les pièges
véritables sont au-delà des évidences.
o Mais sans rien concéder à l’exigence de sérieux : “M. Intel nous a
indiqué que sa lecture des événements était la suivante : “[...]” ; cette
lecture est fausse”.
· Mises en cause individuelles – la commission explicite ce point,
d’emblée :
o Un drame exige de tirer au clair les engagements de responsabilité.
o Mais, si l’on veut éviter les dynamiques de bouc émissaire, il est
nécessaire de bien prendre en compte la réalité systémique des
environnements organisationnels, même s’il faut prendre garde à ce que la
globalité de l’examen ne disculpe trop rapidement de réelles insuffisances
individuelles ou de groupe.
o Cela posé, la commission retient des règles de conduite intéressantes
pour tout examen a posteriori des actions individuelles :
§ prendre en considération les circonstances qui prévalaient au moment des
faits ;
§ s’interroger pour savoir si ce qui est reproché à une personne est
véritablement en dessous de la norme attendue d’une personne exerçant ce
type de responsabilité ;
§ dans l’affirmative, indiquer avec précision ce qui peut être reproché à
la personne en question.
· Toujours pour prévenir des mises en cause expéditives, la Commission
souligne – (“What went right and what went wrong?”) tout ce qu’il faut
avoir à l’esprit pour éviter d’entrer dans un processus de recherche facile
de bouc émissaire :
o Par construction, un rapport de retour d’expérience pointe des
insuffisances.
o On risque de perdre de vue tout ce que les personnes ont fait de bien.
o On ne prend pas en compte la charge de travail très importante de ces
personnes dans le cours de l’affaire.
o Ceux qui ont été les plus actifs sont naturellement ceux qui s’exposent
aux critiques les plus nombreuses.
NOUVEAUX HORIZONS
Le rapport Phillips s’inscrit dans le cadre le plus classique des retours
d’expérience : une commission, un rapport dont la vocation est d’expliquer
l’enchaînement des événements et d’en tirer des enseignements.
Mais l’exercice de retour d’expérience peut être pensé sous des formes qui
l’éloignent du rapport d’enquête. On peut par exemple prendre connaissance
et s’inspirer d’initiatives marquantes en matière de retour d’expérience,
par exemple sur la crise de l’Anthrax en 2003, avec la réunion à Paris d’un
très grand nombre de Groupes postaux internationaux venant partager leur
expérience, leurs initiatives.[18]
<http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_edn18>
On peut aussi songer à accentuer la préparation dynamique de nouvelles
aptitudes. Par exemple, à faire rejouer les épisodes par les acteurs, à
faire jouer des séquences spécifiques par d’autres équipes, en présence des
premiers acteurs ; ou encore à organiser des séances très largement
ouvertes aux différents publics concernés pour faire partager les
enseignements de chacun.
Aucune de ces approches n’est antinomique. La seule exigence est de savoir
ce que l’on fait, et de le faire avec tout le discernement voulu. En
évitant les pièges de l’après-crise, qui ne sont pas forcément moins
problématiques que les pièges de la crise.[19]
<http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_edn19>
La grande difficulté, qu’aucun schéma, guide, doctrine, ne saurait effacer
est que rien n’est possible s’il n’y a pas acceptation par chacun et par
tous de l’idée d’erreur, de faiblesse, et même de faute, personnelle comme
collective. Mais pareille acceptation n’est tenable que si l’on pose aussi
comme condition nécessaire, une implication personnelle et collective dans
des préparations, des formations, des exercices, des prises de
responsabilité en rapport avec les fonctions charges que l’on exerce. Sinon
les failles sont trop béantes pour que le moindre regard post mortem ne
puisse être porté, ni toléré. Le trop classique « No time, No need, No
money », [20]
<http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_edn20> opposé
aux initiatives de préparation conduit immanquablement non seulement aux
échecs, mais aux refus ou aux dévitalisations et autres détournements des
processus de retours d’expérience. Tout acteur, toute organisation, toute
institution se pensant détenteur accompli du savoir comme du pouvoir aura
les plus grandes peines à entrer dans quelque démarche de retour
d’expérience. Et toute chance de tomber dans les pièges dominants.
PIÈGES - ULTIMES MISES EN GARDE
Redisons-le encore, tant les pièges sont omniprésents et les tentations
prégnantes : on ne se lance pas dans un projet de retour d’expérience de
grande ampleur avec pour seule motivation de « faire quelque chose » dans
un sillon « porteur ». Encore moins avec la seule pulsion d’en découdre
pour condamner, ni dans le but inverse – trop souvent dominant – de
s’auto-protéger ou de défendre des intérêts masqués.
La sécurité d’un pays et de ses citoyens réclame un fort investissement
préalable à tout projet d’enquête : on ne se présente pas comme membre
d’une commission ou d’une équipe d’analystes sans un très sérieux effort
préalable personnel, et collectif. Ce travail préalable permettra à chacun
et à tous de cultiver la modestie, de savoir que derrière chaque
« trouvaille », il y a des questions en surnombre et des erreurs majeures
en embuscade. Les couches à explorer sont toujours de grande profondeur et
résistent à tout examen hâtif.
Malheur à qui croit déjà avoir trouvé avant même d’avoir douté. Ce qui
n’efface pas l’inverse : malheur à qui se résout à ne rien trouver pour
être certain de ne toucher à rien. Si l’investigateur de l’après-coup n’a
pas lui-même expérimenté le vertige, il sera assurément un bien mauvais
ouvrier.
Il risque même, tout simplement, d’interdire tout retour d’expérience
– piège le plus commun sous toutes les latitudes, et qui ne date pas d’hier…
[21] <http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_edn21>
IMAGE ASTÉRIX (non prise en compte par LinkedIn - Voir l'article sur mon
site www.patricklagadec.net, onglet Articles) :
Les Gaulois se retirent, et c'est le grand calme qui suit les batailles…
Le légionnaire en bien mauvais état : "Qu'est-ce qu'ils nous ont mis, hein
Chef?!!"
Le Chef : "D'abord, remettez-moi ce camp en ordre !!! Qu'est-ce que c'est
que ce laisser-aller ?!! Et qu'on ne me parle plus JAMAIS de cette bataille
!!!".
Article remis le 17 avril 2020
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[1] <http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_ednref1>
Patrick
Lagadec est Directeur de recherche honoraire à l’École polytechnique.
[2] <http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_ednref2>
Matthieu
Langlois est médecin anesthésiste réanimateur, CHU Pitié Sorbonne
Université Paris-6, Membre de la Société Française de Médecine de
catastrophe.
[3] <http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_ednref3> Louis
Antoine de Bougainville : Voyage autour du monde, Gallimard, coll. « Folio
classique », Paris, 1982, p. 209.
[4] <http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_ednref4> in
Patrick Lagadec : Le Continent des imprévus – Journal de bord des temps
chaotiques, Belles Lettres, 2015, pages 239-240,
http://www.patricklagadec.net/fr/livres/Lagadec-Le-Continent.pdf
[5] <http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_ednref5>
Notamment :
– Ministère des Solidarités et de la Santé : « Situation d’urgence
sanitaire et exercices de simulation – Retour d’expérience guide
méthodologique », 2019.
https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/guide_retex_bd.pdf
– Dr Bruno Bally et Philippe Chevalier : Retour d’expérience en santé (REX)
: Comprendre et mettre en œuvre – Mission sécurité du patient – Haute
Autorité de Santé, 2014. https://has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2014
11/rex_comprendre_mettre_en_oeuvre.pdf
– Direction Générale de la Santé : Méthodologie de retour d’expérience pour
les événements sanitaires ou à impact sanitaire, Mars 2007.
https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/retour_experience.pdf
[6] <http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_ednref6> Revue
de mortalité et de morbidité (RMM), Haute Autorité de Santé, Juin 2017
https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2013-02/revue_morta...
[7] <http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_ednref7>
Notamment :
– Jean-Luc Wybo et Wim Van Wassenhove : Retour d’expérience et maîtrise des
risques – Pratiques et méthodes de mise en œuvre, Coll. Science des risques
et du danger, Lavoisier, 2009.
– Jean-Luc Wybo : Le retour d'expérience : un processus d'acquisition de
connaissances et d'apprentissage, Economica, 2009.
[8] <http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_ednref8>
Benoist-Méchin : Soixante jours qui ébranlèrent l’Occident, 10 mai- 10
juillet 1940, E. Robert Laffont, Paris, 1981, page 156.
[9] <http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_ednref9>
Matthieu
Langlois, avec la collaboration de Frédéric Ploquin : Médecin du RAID,
Vivre en état d’urgence, Albin Michel, 2016.
[10] <http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_ednref10>
Matthieu
Langlois, idem.
[11] <http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_ednref11>
Report
of the President’s commission on the accident at Three Mile Island, New
York, Pergamon Press, 1979.
[12] <http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_ednref12>
Rapport
de la Commission scientifique et technique chargée d’analyser les
événements relatifs à la tempête de verglas survenue du 5 au 9 janvier 1998
: «
Pour affronter l’imprévisible – Les enseignements du verglas de 1998 »,
Rapport Nicolet, Les Publications du Québec, 1999.
[13] <http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_ednref13>
National
Commission on Terrorist Attacks upon the United States, The 9/11 Commission
Report, Final Report, Authorized Edition, Norton, 2004.
Voir aussi la vidéo :
“Without Precedent "Lessons Learned from the 9/11 Commission”, Lee
Hamilton, CO-Chair of the 9/11 Commission, Report, 2004, Co-Author of “Without
Precedent, The Inside Story of the 9/11 Commission”, 2006, talking to
Patrick Lagadec, Washington DC, March 2007.
[14] <http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_ednref14>
« Évaluation des dispositifs de secours et d’intervention mis en œuvre à
l’occasion des tempêtes des 26 et 28 décembre 1999 », Rapport d’étude de la
mission interministérielle, juillet 2000.
[15] <http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_ednref15>Patrick
Lagadec : Retour d’expérience : théorie et pratique. La canicule de l’été
2003. Auscultation des rapports d’enquête”, in Retour sur les rapports
d’enquête et d’expertise suite à la canicule de l’été 2003”, Cahiers du GIS
Risques Collectifs et Situations de Crise, MSH Axe Risques et Crises
Collectifs, Publication de la MSH-Alpes, Claude Gilbert et Isabelle
Bourdeaux Éditeurs, CNRS et Maison des Sciences de l’Homme-Alpes, n°4, mai
2005, p. 17-200.
http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/retoursurenquetescanicule.pdf
– "Katrina : Examen des rapports d'enquête", Tome 1 : A Failure of
Initiative, US House of Representative, 2005, Cahiers du Laboratoire
d'Econométrie, Cahier n° 2007 - 07, Ecole Polytechnique, Mai 2007 (deuxième
version, 140 pages). http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/2007-07.pdf
– "Katrina : Examen des rapports d'enquête", Tome 2 : The Federal Response
to Hurricane Katrina – Lessons Learned", The White House, 2006", Cahiers du
Laboratoire d'Économétrie, Cahier n° 2007 - 11, École Polytechnique, Juin
2007, première version, 156 pages.
http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/2007-11.pdf
– "Katrina : Examen des rapports d'enquête", Tome 3: A Nation Still
Unprepared, The US Senate, 2006", Cahiers du Laboratoire d'Économétrie,
Cahier n° 2007 - 25, École Polytechnique, Octobre 2007, première version,
155 pages. http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/2007-25.pdf
– “Retour d’expérience : théorie et pratique. Le rapport de la Commission
d’enquête britannique sur l’Encéphalopathie Spongiforme Bovine (ESB) au
Royaume Uni entre 1986 été 1996”, Cahiers du GIS Risques Collectifs et
Situations de Crise, n°1, juillet 2001, 170 pages.
http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/retour_ESB.pdf
[16] <http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_ednref16> Par
exemple :
– Sous la direction d’Emmanuel Hirsch : Pandémie grippale : l’ordre de
mobilisation, Cerf, 2009.
– Patrick Lagadec : « La “drôle de grippe”, Pandémie grippale 2009 : essai
de cadrage et de suivi », Cahier de recherche n°2010-03, Département
d’économie, École Polytechnique, janvier 2010, 177 pages.
http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/cahier_2010-03.pdf
[17] <http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_ednref17> Lord
Phillips of Worth Matravers, Ms June Bridgeman, CB, Professor Malcom
Ferguson-Smith, FRS : The BSE Inquiry, House of Commons, London, HMSO,
October 2000.
[18] <http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_ednref18> Par
exemple, une grande initiative internationale après la crise de l’anthrax :
Martin Hagenbourger, Patrick Lagadec and Marc Pouw, “Postal Security,
Anthrax and beyond Europe's Posts and the Critical Network Challenge:
Lessons from the Anthrax Case to Meet Future Challenges”, Journal of
Contingencies and Crisis Management, Volume 11, Number 3 September 2003, p.
105-107. http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/POSTAL_SECURITY.pdf
[19] <http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_ednref19>
Arjen
Boin, Allan McConnell, Paul 't Hart (Ed.), Governing after Crisis: The
politics of investigation, accountability and learning, Cambridge
University Press, 2008.
https://www.researchgate.net/publication/290554900_Conclusions_The_polit...
[20] <http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_ednref20>
Laurent
Carrel : “Training Civil Servants for Crisis Management”, Journal of
Contingencies and Crisis Management, Vol. 8, N° 4, December 2000, Special
issue : Crisis Preparation and Training, p. 192-196 (p. 193).
[21] <http://applewebdata//213B9C8E-C0F6-4DD6-A17B-A7137D429326#_ednref21> René
Goscinny (scénario) et Albert Uderzo (dessin), Astérix Gladiateur, tome 4,
Pilote, 1964.
Rédigé parPatrick Lagadec
--
Gilbert Mounier
Management intégré QSE
06.22.04.03.20
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